Pirates

Dans la marina d’un petit port sur la côte sud de la République Dominicaine, je devise avec un navigateur qui, comme moi, s’apprête à traverser l’Atlantique à la voile pour rejoindre la France.

Un problème de santé le fait cependant hésiter à prendre la mer : il n’a pas mangé depuis plusieurs semaines et a déjà perdu une dizaine de kilos, ne pouvant rien avaler sans vomir. Son estomac s’est bloqué, dit-il, depuis que des pirates sont montés à bord de son voilier au large des côtes vénézuéliennes, fusil mitrailleur au poing. Terrorisé, il leur a remis tout l’argent qu’il avait à bord, à savoir trois ans d’économies en espèces pour la réalisation de son tour du monde. S’il a pu ainsi conserver son bateau et sa vie, le voilà désormais contraint de rentrer au plus tôt. Il en a, si tout va bien, pour un mois de navigation, alors que son état physique ne permet pas de savoir s’il sera encore capable d’étarquer une voile dans trois jours.
La journée touche à sa fin. En guise de repas, et surtout d’apéritif, il accepte que je monte à son bord pour lui poser quelques aiguilles d’acupuncture.
Le lendemain matin, un joyeux « Ohé du bateau » me réveille. Mon voisin de ponton a passé la nuit à vider son frigo, son estomac n’étant plus bloqué à présent que par un trop-plein de nourriture dû à une faim inextinguible, qui durera le temps qu’il retrouve ses kilos. Seules ses maigres ressources financières limiteront l’avitaillement pantagruélique qu’il a envie de faire avant le départ. Je le retrouverai aux Açores en pleine forme, quelques semaines plus tard, malgré une avarie qui l’aura obligé de barrer quasiment jour et nuit.
Fin de l’histoire proprement dite. À présent, une réflexion : si quelques aiguilles au fond d’une sacoche ont pu remplacer un gastro-entérologue, une batterie d’examens et une série de médicaments à l’effet thérapeutique incertain, pourquoi la médecine chinoise est-elle ainsi maintenue depuis des décennies au large des côtes de France ?
Je ne vois qu’une réponse : Pi-rates !