Au cas où ce blog, envoyé sur des ondes invisibles au moment de Samain, fête celtique – devenue Toussaint chez les Chrétiens et Halloween chez les consommateurs – durant laquelle l’esprit des morts rend visite aux vivants, serait capté par quelques âmes n’ayant pas trouvé le repos, voici un message à leur attention.
Tout d'abord, une demande de pardon, au nom d’une médecine qui ne s’intéresse qu’au corps humain, à toutes les âmes qui n’auront pas pu rejoindre l’autre rive parce que des vivants se seront acharnés à les laisser se noyer dans la vie au-delà de toute raison et de toute humanité. Ensuite, un message de compassion pour les âmes perdues qui ont attendu en vain dans les couloirs lugubres de certains établissements dits de santé, avant de les quitter par le haut. Enfin, un message de paix intérieure à tous les mourants en cours, retenus malgré leur volonté sur le seuil d’une maison de repos éternel dont on leur interdit l’entrée.
Et par la même occasion, un message aux fugaces vivants que nous sommes tous.
La mort n’est pas une maladie. Elle est le retour sur l’autre rive du fleuve de la vie. L’expérience d’un processus inverse, d’une certaine manière, à celui de la gestation et de la naissance. La vie est un processus d’agrégation ; la mort, un processus de désagrégation. Tous les êtres en font tôt ou tard l’expérience, et le rôle du médecin devrait être de faire en sorte que ce passage, cette étape essentielle de la vie, se passe aussi bien, sinon mieux que celle de la naissance.
La vie ne nous est pas donnée, mais transmise, pour un temps, par le souffle du ciel et le sang de la terre. Nous ne sommes que des passants, des visiteurs, des invités. La vie, c’est des vacances, disait le Dr Leung Kok Yuen. Quand vous arrivez, tout est déjà en place. Et quand vous repartez, vous n’emmenez rien avec vous. Tout ce que vous avez à faire est de profiter du séjour. Ce à quoi il convient d'ajouter, en songeant aux générations futures : Vivez sans laisser de traces, en laissant l’endroit aussi propre que vous auriez souhaité le trouver en arrivant.
Après notre passage sous cette forme d’existence, nous devons effectuer notre retour au sein du Grand Père Céleste et de la Grand-Mère Terre de la façon la plus douce et la plus sage, car toute mort est une autre naissance. Où serons-nous tous dans cent ans ? La Grande Fonderie ne commet aucun crime, disait Zhuang Zi, elle opère seulement des métamorphoses.
C’est dans cette perspective commune aux médecins du corps et de l’âme que devrait être abordé tout débat sur la fin de vie, pour s'apercevoir qu’il n’y a pas débat. Il faut simplement cesser de considérer tout décès comme un échec thérapeutique. Il faut réaliser et accepter le fait que la mort est un processus naturel, et comprendre que l’accompagner comme on accompagne la naissance, qu’accompagner la vieillesse comme on accompagne l’enfance, fait partie de notre devoir de passeurs d’humanité. Il est tout aussi humain de faire de Samain un jour de fête et de célébration de nos invisibles amis les fantômes et les âmes en peine. Réchauffons et éclairons les coeurs vides des citrouilles que nous sommes. Le crépuscule de l’année, comme celui de la vie, contient la promesse d'une nouvelle aube pour tous.