Sur le petit marché de Lablachère, un matin de printemps, je devisai avec un paysan souriant qui me raconta l’histoire qu’il venait de voir dans le journal.
Deux camions chargés de tomates, l’un venant de Hollande et descendant vers le Sud, l’autre arrivant d’Espagne et montant dans le Nord, s’étaient percutés dans la vallée du Rhône, provoquant un renversement des deux cargaisons de tomates dont le mélange rendait le tri impossible.
C’était moins le côté ironique de l’évènement que le caractère absurde de son origine qui avait retenu l’attention du petit homme au regard pétillant et au bon sens bien enraciné : pourquoi des pays exportent-ils des produits qu’ils pourraient consommer et importent-ils des produits qui poussent chez eux ? Comment est-il possible que les produits venus de pays lointains coutent moins cher que ceux fabriqués localement ?
Cette double aberration économique et écologique n’a trouvé aucune réponse satisfaisante ce jour-là, hormis celle de la spéculation financière et de l’exploitation des ressources et des hommes. Nous avons échangé ce jour-là sur un vieux livre de chevet que nous avions en commun, « La planète au pillage », de Fairfield Osborn.
Une trentaine d’années plus tard, l’anecdote me revient en mémoire chaque fois que je me rends sur un marché (et encore, j’évite le supermarché), constatant toujours la même manie échangiste.
La révolution des consciences qu’appelait de ses vœux l’homme sage de Lablachère – il s’appelait Pierre Rabhi – n’est toujours pas advenue.