J’entre dans le dojo pour y replacer le coussin que j’avais éclipsé afin de laisser la place à un stage de méditation.
Quelqu’un a vidé le pot de cendres dans lequel, depuis des décennies, je plantais mes bâtons d’encens. Un gouffre a remplacé le mini jardin zen que je dessinais à sa surface au début de chaque nouvelle méditation.
Passage de trois lueurs mêlées : incompréhension, colère, tristesse.
J’apprendrai plus tard que l’un des participants a appliqué avec trop de zèle la consigne de passer l’aspirateur dans le dojo. Mais de même que cela ne se fait pas de jeter au sol les cendres de tabac d’une pipe sacrée, cela ne se fait pas de jeter à la poubelle les cendres d’un encens précieux ayant servi de support à de la méditation ou de la prière.
Ce pot refermait le souvenir unifié des centaines d’heures qu’il avait fallu à mon corps et mon esprit pour cesser leur dictature au fil du temps et s’ouvrir à plus grand. Suffit-il que la cendre disparaisse pour que le calme fasse de même et qu’il faille tout recommencer ?
En théorie non, mais en pratique, j’observe tout de même que quelques jurons s’échappent de moi comme des gaz qu’il vaut mieux ne pas retenir. « Fait chier ! »
Cette poussière d’encens avait pour moi valeur de relique, incarnant près d’un semi-siècle d’efforts irréguliers mais sincères.
Je regarde le pot vide, dont le contenu a sans le vouloir rejoint le même sort que les mandalas tibétains dispersés aux quatre vents (à cette différence près que ledit contenu est sans doute toujours enfermé au milieu de poussières plus douteuses dans un fond d’aspirateur).
Peut-être est-ce un avertissement ? Après tout, il temps pour moi de réaliser que le même sort m’attend, moi aussi dispersé un jour prochain aux quatre vents ou au fond d’une boîte.
Il ne me reste plus qu’à m’asseoir, faire le deuil de tous les présents ayant précédé celui-ci, allumer un nouveau bâtonnet, et tandis que celui-ci fume doucement au milieu du pot vide, remercier en silence le maître malgré lui qui m’a offert cette leçon d’impermanence.
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Fait ch... .... ... ...