C’est un fait divers devenu banal. Une jeune fille de 21 ans est morte après avoir consommé un rouleau de printemps contenant quelques cacahuètes. Elle y était allergique.
Les parents portent plainte et un an plus tard, le restaurant, faute d’avoir annoncé les allergènes présents dans ses plats, est condamné pour homicide involontaire.
Paix à l’âme de cette jeune fille ; condoléances à sa famille. Mais compassion aussi pour les criminels malgré eux que sont devenus tous les cuisiniers qui, faute de se mettre au diapason d’un monde pasteurisé, sont devenus les responsables de la fragilité de leurs clients.
Aujourd’hui, tout est poison potentiel : le pain, le lait, les oeufs, les arachides, les champignons, les poissons, les mollusques, les crustacés, le soja, le sésame, la moutarde, les fruits à coque, les ratons laveurs…
« Donnez-nous notre gluten quotidien », incita à quémander par la prière un dangereux gourou voilà deux mille ans. Malaise.
Qui se pose la question de la raison qui rend de nos jours tant de personnes allergiques à tant de produits ordinaires et consommés depuis des siècles ? Quelle raison cette jeune fille, que ses parents connurent rayonnante et pleine de vie, avait-elle de succomber à cette étrange et terrible malédiction de la cacahuète ? Une sorcière aurait-elle fait macérer les nems dans la même potion que celle où trempa la pomme de Blanche Neige ? Est-il possible que d’autres apprentis sorciers aient fait prendre à la demoiselle, au cours de ses jeunes années, des substances détruisant peu à peu son système immunitaire ?
Quel prince charmant aura un jour le courage et les moyens de lancer, au nom de toutes les princesses à venir, une étude des liens possibles entre les vaccinations multiples, les antibiothérapies à répétition, les immunosuppresseurs de tous ordres, la dénaturation chimique, génétique et industrielle des aliments, et l’ahurissante fragilisation des enfants du pays de Pasteur ?
Comment offrir à cette jeunesse la possibilité de courir le monde sans trouver la mort à la première gargote venue, à moins qu’elle ne voyage en emmenant, tel un cosmonaute, sa nourriture aseptisée partout avec elle ? Il en est, c’est vrai, qui éprouvent une certaine fierté à annoncer leurs intolérances, comme si cette inexplicable fragilité faisait d’eux des êtres exceptionnels, des princesses au petit pois. Que cette débilité soit vécue comme une bénédiction ou une malédiction, cela leur offre la même excuse de ne pas en chercher la cause réelle, comme si cela tombait du ciel.
A propos de ciel, je repense à l’histoire tragique de ce paysan qui arrosait son champ de pesticides hautement toxiques. Un jour, une forte rafale de vent lui projeta le produit chimique sur le visage et lui brûla les yeux. Il en perdit la vue. Depuis, chaque fois que quelqu’un lui demande comment il est devenu aveugle, il raconte son histoire, qu’il conclut naturellement par ces mots :
« Saleté de vent ! »…
Autant en emporte la malédiction de la cacahuète.