Carpe Diem

Cette nuit, j’ai fait un rêve très étrange. Je me donnais volontairement la mort pour venir moralement en aide à quelqu’un qui défendait une noble cause.

Je ne vous dirai pas qui était l'intéressé, cela n’a pas de véritable importance, et puis ce n’était qu’un rêve. Ce qui compte, c’est qu’au fond de mon esprit endormi, cet évènement avait vraiment lieu. Je vivais intensivement la fin imminente de quelqu’un qui monte à l’échafaud de son plein gré et met la tête sous le billot, avec tout ce qui se passe dans ladite tête à ce moment-là.
Dans la mienne, se sont bousculées d’un coup toutes les personnes que je laissais à regret, toutes les choses non réglées, tous les projets non aboutis. M’est apparu tout aussi clairement l’impact minime que ma disparition subite allait avoir, au-delà de ma famille proche et de quelques intimes, dans ce monde où tout va vite et tout s’oublie à la vitesse d’un post sur un réseau social.
J’ai réalisé à cet instant l’inanité de mon geste, qui non seulement n’allait rien changer à la cause et à la personne que je voulais défendre, mais qui allait certainement les desservir. A la dernière seconde, l’évidence m’est apparue que le renoncement au sacrifice n'était pas la marque d'un  manque de courage, mais la preuve d'une lucidité brutalement retrouvée.
Toujours en rêve, je suis redescendu de mon échafaud improvisé, bien décidé à retourner me plonger avec détermination dans le temps de vie qui me reste pour ordonner, simplifier, clarifier, terminer tout ce qui doit l’être, afin d'offrir à mon rêve suivant, qu’il soit en trois ou quatre dimensions, une chance de se poursuivre de la plus belle manière.
« N’ayons rien de si souvent en tête que la mort », disait Montaigne, dont la sagesse intemporelle me rassure sur cet étrange moment de morbidité passager. Mon songe a d'ailleurs fini par me susurrer qu’aucune grande cause ne méritait le sacrifice d’une vie, surtout pas celles que nous vendent les marchands d’hommes, les marchands d’armes et les marchands d’âmes, entendez les militaires, les industriels et les religieux, le tout chapeauté par le fourbe discours des politiques.
Le temps de me lever au milieu de la nuit pour noter ces quelques mots, et le détail du joyeux chantier personnel qui m’attendait dans la vraie vie, si clair pendant mon rêve, s’est malheureusement évanoui. Demeure le sentiment persistant qu’une chose en moi est morte tandis qu’une autre s’est réveillée. Le rêve d’un calvaire inutile, d’une illusion de vie dont le voile se lève parfois mieux dans la nuit qu’en plein jour, pour donner quelque chose de différent à renaître le lendemain, avec le lever d’un nouveau soleil.
Carpe Diem à tous.