Assis derrière le bureau, je contemple un moment le tableau tranquille de mon cabinet vide, baigné des rayons d’un soleil déclinant. Ce n’était pas seulement la dernière consultation de la journée ; ce lieu ne recevra plus de patients. C’était la dernière séance.
La maison est vendue, et je ressens confusément une sensation de petite mort. Demain, l’âme de cette pièce va s’échapper dans sa quête d’un autre corps. En même temps qu’elle va se vider de tous les objets qui forment le rituel de la médecine que je pratique, elle va perdre la mémoire de ces quelques milliers de souffrances, si ressemblantes, si uniques, qu’elle aura reçu entre ses murs.
Notre esprit est ainsi fait que le lieu dans lequel on a pris le temps de vivre se transforme peu à peu en une extension de soi-même. Il faut un effort particulier à notre conscience, qui s’étend malgré elle à toutes ces pièces – éclairées ou aveugles – qui abritent nos souvenirs, pour ne pas s’attacher plus que de raison à cette matérialité étendue, reconnaissable au pincement au cœur qui marque toute séparation.
Je contemple une dernière fois le mandala patiemment réalisé au fil des ans, qu’emportera le vent des déménageurs bretons dans quelques jours. Évidemment, tout continue, comme toujours, autrement. Ma future réincarnation immobilière est déjà connue, les prochains rendez-vous sont déjà programmés pour les mois à venir ; il n’empêche. Ici et maintenant, c’était la dernière séance. Le pincement au cœur est là.