Du spiritueux comme test spirituel

Pour fêter le premier jour d’une longue semaine de méditation à venir, Taikan Jyoji, Maître de la tradition Rinzaï, a mis deux bouteilles de petit vin d’Ardèche sur la table du repas.

Au moment où il commence à remplir les verres, une participante pose la main sur le sien en disant : « Non merci Maître, je ne bois pas. »
- Vous avez un problème avec l'alcool ?
- Non, c’est un principe, je ne bois pas.
- Alors juste une petite goutte, pour trinquer avec tout le monde. 
- Non, pas question ! 
- Mais si, une lichette, poursuit imperturbablement Maître Jyoji, prenant son verre d'autorité et y versant un peu de vin.  
- N’insistez pas Maître ! répond la femme en se braquant. Si vous me forcez, je m’en vais ! 
- BUVEZ ! Dit soudain Maître Jyoji, ne laissant d’autre choix à la femme sidérée que de tremper le bout des lèvres, avant de quitter précipitamment la table, raide et vexée.
Silence gêné autour de la table. Un ange zen passe, tandis que Maître Jyoji continue tranquillement son service. 
Assis à côté de lui, je me hasarde :
- Mais enfin, pourquoi l’avez-vous forcée à boire ?
- Si elle est déjà prête à interrompre sa recherche pour un verre de vin, ce n’est pas la peine qu’elle perde son temps ici.
L'ange repasse.
Quelques temps après, la femme revient, interdite, et se faufile en silence avec nous dans le dojo pour la première méditation. 
La semaine se passe, que je ne commenterai pas, n’ayant pas le goût des conférences sur le silence. La retraite prend fin. 
Vient le dernier repas, où deux bouteilles de vin sont à nouveau débouchées. 
La même femme, méconnaissable –faut-il donc dire la même ? –, trinque en riant avec Maître Jyoji. Je ne sais pas quelle étrange eucharistie a eu lieu, ni à quel moment, toujours est-il que ce dernier repas est devenu un repas de communion. 
Une chose est sûre, la saveur du Zen a quelque chose à voir avec celle du vin : elle pique au départ, mais elle rend gai à la fin.