Poste Office

Cela faisait longtemps que je n’avais pas participé à cette vieille tradition : faire la queue, tel un communiant du dimanche, pour arriver au guichet, prêt à ouvrir la bouche et lécher un timbre.

Ici règne un silence d’église, rompu de temps à autre par les coups de tampon de l’officiant derrière son confessionnal en verre. 
À la Poste, point de sermon mais beaucoup de fidèles dans une attente religieuse, où ressortent par contraste les tics nerveux et la danse sur place de quelques-uns qui trouvent la messe interminable. 
De l’autre côté du mur de verre, le guichetier effectue son sacerdoce, ignorant la foule impatiente, exécutant, face au seul client qui compte pour lui, sa tâche présente avec la concentration et la lenteur d’un maître de la cérémonie du thé. Quand un impatient tente de l’interpeller, il le dirige imperturbablement vers l’un des automates qui ont remplacé ses collègues, « sinon il faut attendre ».
Je décide de suivre l’exemple de ce Monsieur Jourdain de la zénitude. Tout en gardant les yeux ouverts, je ferme mon regard, abandonnant l’observation du tableau de la messe en jaune et bleu pour celle du souffle invisible qui maintient mon corps en position debout. 
D’église, la Poste devient monastère. L’attente devient pratique intérieure ; les personnes alentour, de jeunes – ou moins jeunes – scarabées, perdus dans les remous de leurs pensées ou absorbés par le trou noir de leur smartphone. 
Les pieds embrassant la terre, la tête légère comme le vent, je n’attends plus, tel l’arbre, laissant le temps passer sans moi. 
Ma méditation verticale prend fin à regret lorsque vient le temps de me retrouver face à mon maître de patience du jour. Celui-ci semble d’ailleurs reconnaître immédiatement en moi un disciple (ou un collègue) lorsque, à la place du traditionnel rictus dissimulant le reproche, il reçoit un bonjour accompagné d’un sourire de reconnaissance. 
Dans ce monde où tout est à l’envers, il ne reste plus aux pauvres pêcheurs que nous sommes que le pouvoir de pardonner aux églises, aux bureaux de poste, aux écoles et aux hôpitaux leur manque de confesseurs.  
Sur le chemin du retour, je profiterai de tous les feux rouges qui m’attendent pour pratiquer la méditation assise dans ma papamobile.