Telethon destin

Lorsque les hommes veulent s’unir pour défendre une cause, ils sont capables de choses admirables. C’est ce que démontre par exemple le Téléthon, qui mobilise nombre d’initiatives altruistes et rapporte chaque année un petit pactole à la recherche génétique.

La beauté de ce geste collectif a de quoi émouvoir, même si le record des dons atteints est davantage le fruit d’un marketing médiatique bien rôdé qu’un élan spontané mu par une foi profonde dans la recherche médicale.
Il est vrai qu’il en faut, de l’espoir, pour oublier que cette recherche engloutit des sommes astronomiques depuis un demi-siècle, annonçant chaque année qu’elle « touche au but », tandis que des maladies rares ne cessent de naître et que des maladies phares comme le cancer ne font qu’augmenter régulièrement depuis des décennies.
Il en faut, de l’espoir, pour se persuader qu’avec notre argent, cette recherche menée par des cosmonautes jouant avec les génomes et les virus dans des laboratoires de haute sécurité, convaincus que la thérapie génique est le seul avenir de l’homme, n’est pas également en train de nous fabriquer les maladies du prochain millénaire.
C’est plus que de l’espoir qu’il faut, pour tourner le dos à cette prédiction du Britannique Edward Hooper : « Les progrès réalisés par la biotechnologie ces vingt-cinq dernières années laissent espérer de merveilleux progrès pour le développement et le bonheur de l’être humain. Mais ils risquent également de nous exposer aux plus grands dangers jamais rencontrés par notre espèce. 1» Si tel devait être le cas, soyons persuadés que la recherche médicale ne manquera pas d’organiser d’autres téléthons, et que l’industrie pharmaceutique, au lieu de financer elle-même les conséquences de ses erreurs, continuera de nous faire payer au prix fort ses nouveaux médicaments.
On sait le peu de cas que « Big Pharma » fait habituellement des maladies non-rentables. Soit parce qu’elles sont orphelines, soit parce qu’elles touchent, comme dans les pays du sud, une large population de patients insolvables. J’ai toujours en mémoire le scandale des médicaments génériques refusés à l’Afrique, comme celui des écoulements de stocks ou des essais thérapeutiques mortifères déguisés en aide humanitaire dans ces pays 2. « C’est vrai que l’on fait peu de recherche sur les pays qui affectent les pays pauvres, car c’est un domaine où l’on perd de l’argent », déclara un jour le patron d’un grand laboratoire 3. Dès lors, comment ne pas trouver suspecte cette supplique récurrente du Téléthon : « Donnez en faveur des maladies rares » ? Heureusement pour ces marchands, les humains ont toujours les yeux qui brillent face aux contes de fée et aux vitrines de Noël.
Il en faut, de la candeur, pour ne pas voir les grosses ficelles du « Charity Business », sa manière peu scrupuleuse d’exploiter l’argent et l’espoir de toute une population au détriment possible d’autres voies de recherche qui mériteraient pourtant largement le même engagement. Il y a du grand show à l’américaine dans cette humanitaire-là : débauche de moyens, affichage ostensible de chiffres, surenchère de bons sentiments, culpabilisation insidieuse de ceux qui ne donneraient pas...
Mais le plus choquant est sans doute cette façon malsaine de sortir des personnes handicapées de l’anonymat où elles sont habituellement confinées pour les exposer aux caméras le temps d’émouvoir le bon peuple, à la manière peu délicate de ces mendiants de l’Inde exhibant leurs enfants ou leurs infirmités pour gagner quelques roupies. Étrange manière de rétablir l’honneur de la personne handicapée. On ne peut que comprendre la joie des malades et des familles qui, habituellement oubliés, se retrouvent en cette brève occasion au centre des attentions. On ne peut qu’applaudir au mieux-être matériel que le Téléthon aura procuré à certaines d’entre elles. Mais on peut aussi regretter qu’au final, elles apparaissent davantage comme les alibis que comme les véritables bénéficiaires de cette grand’messe médiatique.
Télé-achat du cœur, de la promesse gratuite et du don qui rapporte, le téléthon a de quoi satisfaire tout le monde : l’industrie biotechnologique y trouve son argent, les vedettes, leur auréole, les médias, leur audience, l’état, ses économies sur le financement de la recherche, les annonceurs, leur publicité, et la population, sa bonne conscience. Tous vont pouvoir aller fêter l’an neuf avec le sentiment de la Bonne Action accomplie. Champagne. Et comme par magie, les handicapés vont disparaître à nouveau sous nos yeux pendant un an, pour ressortir sous les mille feux du Téléthon de l’an prochain.
En attendant, bonne année, et surtout, la santé.

  1. Edward Hooper : « The River : A journey back to the source of HIV and AIDS. »
  2. « L’Afrique, cobaye de Big Pharma », https://www.monde-diplomatique.fr/2005/06/CHIPPAUX/12513 
  3. Déclaration du patron de Novartis au journal Les Echos, septembre 2003